jeudi 7 mars 2019

La pierre gravée du marais de Lavours

Les marais de Lavours
Nous habitons la Haute-Savoie depuis près de 35 ans mais ce n'est que récemment que nous avons découvert les beautés du département voisin de l'Ain. Depuis, nous explorons et découvrons de bien beaux sites, comme le chateau de Montvéran à Culoz, celui de Machuraz, non loin d'Artemare dont le nom fait penser à quelques preux mousquetaires, la  cascade de Cerveyrieu ou encore les gorges de Thurignin. Bref, plus nous allons dans cette région, plus nous découvrons de paysages extraordinaires.

L'entrée de l'abri

Pour aller vers Culoz, on passe le Val de Fier, on remonte vers le sud sur la rive est du Rhône à travers la Chataugne puis on traverse le Pont de La Loi pour rejoindre le département de l'Ain. Depuis quelques temps, nous avions repéré les marais de Lavours sans nous arrêter. Récemment, j'ai donc décidé d'aller explorer ce fameux marais qui est fort bien aménagé avec un sentier sur pilotis (financé par l'Europe) qui s'enfonce en son au cœur.
Enchanté par la balade, dès mon retour j'ai fait quelques recherches sur Internet. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que quelque part dans le marais, se trouvait un abri-sous-roche orné d'une gravure énigmatique pouvant remonter à l'âge du bronze. Nous qui sommes passionnés d'archéologie et notamment de pétroglyphes indiens de l'ouest américain, c'était l'occasion de mettre en pratique nos techniques de recherche d'indices afin de localiser l'endroit et d'aller y jeter un coup d’œil, sachant qu'il y avait un risque non négligeable qu'il soit inaccessible ou introuvable.
Vue d'ensemble sur les gravures
La première surprise a été le très faible nombre de mentions de cette gravure sur Internet, la plupart d'entre elles ne faisaient qu'indiquer l'existence d'un abri sans donner plus de détails. Toutefois, deux références sortaient du lot pointant vers des articles scientifiques. Le premier, de Philippe Hameau était disponible en ligne et contenait suffisamment d'informations pour qu'à l'aide de Google Earth je puisse localiser le site avec un bon degré de confiance. Le deuxième article, de Robert Vilain et al. n'était pas accessible en ligne mais pouvait être commandé, ce que je fis...  
Détails de la partie droite du panneau
Le lendemain, munis de la localisation approximative de l'abri, Patricia et moi retournions sur place. Passage par le petit village très typique de Lavours puis via un chemin de terre nous arrivons près de l'endroit identifié. Le problème est que nous sommes en plein marais et que le terrain est... marécageux... Après plusieurs essais infructueux à patauger dans l'eau et la boue, nous trouvons finalement un passage avec un tronc fort bien placé pour franchir un ruisseau. Assez rapidement nous apercevons l'entrée de l'abri ou plutôt des abris, car comme mentionné dans l'article de Philippe Hameau, il y a une deuxième grotte fermée par une porte métallique.
Devant l'abri on voit nettement les traces des fouilles mentionnées dans l'article de Robert Vilain et al. qui sont maintenant recouvertes, ne laissant voir qu'une dépression dans le sol et le haut d'une petite échelle. Sur la paroi à droite de l'abri, la gravure est là, superbe ! Elle mesure environ deux mètres de long sur un de haut et est composée de plusieurs ensembles de lignes et de cupules. La plupart des motifs sont inscrits dans des rectangles plus ou moins marqués. 
Motif en forme d'ogive
Dans le bas de la gravure on trouve des motifs plus profondément gravés, certains de formes assez curieuses comme cette sorte d'ogive dont les traits se croisent au sommet et se prolongent. Le motif de la croix revient à plusieurs endroits. Certains motifs, notamment ceux situés sur la partie gauche ainsi que dans le bas, semblent réalisés avec beaucoup moins de soin, peut-être ont-ils été tracés par une autre main, peut-être sont-ils des tentatives maladroites et plus récentes de reproduire le style des autres gravures ?
La deuxième grotte est fermée par une porte métallique rouillée et ornée d'une croix. C'est un tombeau, qui abrite quatre stèles portant les noms de membres de la famille Drujon de Beaulieu et datant des années 1857 à 1872.
Les quatre stèles dans la deuxième grotte 
Les deux publications qui décrivent l'abri et ses gravures en donnent deux interprétations radicalement opposées. Robert Vilain et ses collaborateurs se basent sur le résultat des fouilles qui ont permis de mettre à jour tout un matériel dont  le plus ancien remonte à la toute fin de l'âge du bronze. Il s'agit notamment de tessons de poteries et de charbons de bois, ces derniers ayant permis une datation précise au 14C. Ces éléments attestent donc d'une présence humaine protohistorique. Les auteurs notent également des similitudes avec d'autres roches gravées telles que la "carte de Bedolina" dans le Valcamonica (Italie) datant de la fin de l'âge du bronze ou du début de l'âge du fer. Ils en concluent donc que le rocher de Lavours a probablement été gravé à la même époque. Nous avons nous même vus des gravures de ce style lorsque nous avons visité le parc de Seradina (voir photo).
Gravure du Valcamonica (Seradina)

Philippe Hameau met en avant la présence de la deuxième grotte ayant servie de tombe au 19ème siècle et propose l'idée que la l'abri gravé ait été un lieu de recueillement, les cupules étant des marques servant à matérialiser les prières et à en tenir le compte à la manière d'un chapelet.


Quant à nous, nous sommes perplexes ! L'emplacement de l'abri, à la base d'une petite colline (nommée mollard dans la région) nous fait un peu penser à certains sites de pétroglyphes indiens que nous vus dans l'ouest américain. On peut imaginer que ce promontoire en bordure de l'actuel marais ait pu avoir une dimension symbolique, voire magique pour les humains de l'âge du bronze. La similitude avec la "carte de Bedolina" est également indéniable...

L'hypothèse de Philippe Hameau pour une gravure relativement récente est également intéressante et elle a le mérite d'inclure la deuxième grotte. Mais il me parait difficilement concevable qu'aucune histoire locale ne relate l'étrange rite de ceux qui gravaient leurs prières dans la pierre...  Ceci dit les secrets sont bien gardés à Lavours puisque le site n'a été connu des archéologues qu'en 1989.


Détail de la gravure de Lavours
Nous comptons bien retourner sur les lieux et explorer les alentours. Qui sait, nous aurons peut-être une idée brillante ou ferons nous une autre découverte !

En tous cas, contre toute attente, il est possible de trouver en France des sites archéologiques très intéressants et d'accès ouvert pour qui veut prendre le temps de chercher un peu...