lundi 5 mai 2014

The Water farm feeds the nation

"La ferme Water nourrit la nation"... Il y a 15 ans, nous avions été surpris de voir des panneaux portant cette inscription le long de l'autoroute 5 qui traverse la Vallée Centrale entre San Francisco et Los Angeles. Au premier panneau, nous nous étions dit que ces sacrés américains avait tout de même tendance à exagérer ; une seule ferme qui nourrit la nation... allons donc ! Lorsque 100 miles plus loin nous nous sommes rendu compte que nous étions toujours au milieu de la ferme Water, nous avons commencé à nous dire qu'effectivement la ferme Water devait vraiment nourrir la nation et encore 100 miles plus loin, nous en étions persuadés ! Nous en avions déduit à l'époque, que la Vallée Centrale, coincée entre les petites montagnes qui bordent l'océan et la Sierra Nevada, était une région extrêmement fertile. Ce que nous ne savions pas c'est que la ferme Water portait bien son nom...

En refaisant la même route maintenant, nous nous sommes rendu compte que beaucoup des champs qui couvraient la vallée à perte de vue ont disparu, remplacés par d'immenses champs de poussière (ici, les gens appellent cela des "dust bowl")
Les fières annonces de la ferme Water ont laissé la place à des panneaux de protestation que nous n'avons pas vraiment compris sur le coup. 

Pour comprendre, il suffit de consulter une carte et de regarder où se trouve l'eau en Californie. On se rend compte que les grosses rivières ; l'American River et la Sacramento River se trouvent au nord. La Sacramento River se déverse dans la baie de San Francisco via un somptueux delta, alors qu'au sud, donc vers la Vallée Centrale, "nada !", il n'y a quasiment pas d'eau ! De plus, le taux d'évaporation dépassant largement les maigres précipitations annuelles (150 mm dans la partie sud de la vallée), il faut se rendre à l'évidence ; la Vallée Centrale californienne devrait normalement être un désert. Ce n'est qu'à grand renfort de barrages et d'aqueducs que la vallée est maintenue fertile. Et tant qu'à faire puisque l'eau coulait à flot, les agriculteurs se sont lancés dans des cultures nécessitant beaucoup d'eau, c'est donc ainsi qu'au milieu de ce qui devrait être un désert, on trouve des amandiers, du coton et même du riz ! Malheureusement, le climat évoluant, plusieurs années de sécheresse sont venues à bout des possibilités d'irrigation, contraignant les agriculteurs à mettre des terrains en jachère et à faire des investissements massifs dans des techniques d'irrigation économes. 

Actuellement la situation ne fait qu'empirer et la colère monte. Les agriculteurs touchés, soutenus par les élus républicains ne comprennent pas que pour des raisons écologiques, on ne puise pas plus dans la Sacramento River. Ils ont d'ailleurs adopté le slogan : "les hommes avant les poissons" ! D'autres, pragmatiques et financiers, font remarquer que bien que la ferme Water nourrisse la nation, la part de l'agriculture de la Central Valley au PIB de la Californie ne représente que quelques pour-cents et que donc, les agriculteurs n'ont qu'à trouver une autre occupation !

Le problème est en fait très complexe, car la répartition de l'eau en Californie n'est pas équitable en raison de lois anciennes que personne n'ose abroger. La première règle stipule que les "pueblos" c'est à dire les toutes premières colonies datant des gouvernements espagnols et mexicains, disposent  d'un accès prioritaire à l'eau se trouvant en surface où dans les nappes phréatiques. La règle des riverains ("riparians") donne le droit à ceux-ci de puiser et de détourner l'eau qui passe par chez eux. Les pionniers devenus propriétaires ont une sorte de droit ancestral pour puiser autant d'eau qu'il le souhaite. Cette règle, mise au goût du jour, donne à ces personnes une priorité sur le système de distribution d'eau, mais comme ce droit peut-être retiré s'il n'est pas utilisé, il semble que les propriétaires concernés n'hésitent pas à faire un gaspillage phénoménal afin de préserver leur privilège. J'ai entendu dire que l'acre-foot (!!!) c'est à dire environ 1200 m3, ne leur coûte que quelques dollars alors que les "nouveaux propriétaires" n'ont parfois pas d'eau du tout. Les avocats étant des rois aux États-Unis, je vous laisse imaginer l’enchaînement des procès, appels, pourvois, etc.

Un autre effet de l'irrigation aberrante a été de laver les sols chargés de toutes sortes de sels minéraux, entraînant une forte pollution des nappes phréatiques notamment par le Sélénium.

Un projet pharaonique consistant en deux tunnels de 56 km de long et de 12 m de diamètre est actuellement très débattu, il s'agit de détourner une partie de la Sacramento river et de l'acheminer dans la Vallée Centrale en passant sous le delta. Cet ouvrage d'un coût de 15 milliards de dollars aurait la capacité d'assécher totalement la Sacramento river. Bien entendu, partisans et opposants s'affrontent et personnellement, je me demande si le but inavouable d'un tel projet ne serait pas plutôt d'amener les énormes quantités d'eau nécessaire à la fracturation hydraulique des schistes très présents dans cette région. Il est en effet courant de voir des puits de pétrole au milieu des champs de coton et certains agriculteurs sont aussi des prospecteurs !


Bon Tempe Lake - L'une des nombreuses réserves d'eau potable de
San Francisco
Quant à San Francisco, je suis toujours impressionné par le nombre de barrages qui ont été construits afin de créer de gigantesques réserves d'eau potables et j'ai le sentiment que la pénurie n'est pas pour demain...

Je tiens à préciser que ceci est ma compréhension du problème, c'est en fait tellement compliqué et tellement "américain" qu'il est possible, voire probable qu'il y ait quelques inexactitudes dans le récit.

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